Eclairage catholique par Père Holthof
Manger l’animal ? Nourriture et sacrifice
par Jean-François Holthof, moine de Cîteaux, vivant à l’Ermitage de Saint-Eugène (Ardèche)
A travers la réflexion de Père Holthof nous abordons la question du sacrifice, celui des animaux dans les temps anciens, mais aussi celui du Christ venu sauver tous les êtres, et qui par ce geste, rend tout autre sacrifice caduque. Ce texte nous place également dans le contexte de la création originelle de Dieu où hommes et animaux se nourrissaient d’herbes et nous interroge sur la direction à tenir.
« Tous s’abstiendront absolument de la chair des quadrupèdes, sauf les malades les plus affaiblis » (Règle de saint Benoît, ch. 39). Ce court précepte qui fonde la pratique actuelle de nombreux moines et moniales appelle quelques explications. Cette mention des quadrupèdes nous envoie en fin du Carême, lors de la vigile pascale dont les lectures commencent par celle du chapitre 1 de la Genèse. Elle désigne ces animaux terrestres qui sont créés le même jour que l’homme, le sixième, et en sont originellement solidaires. De plus, qu’il s’agisse des animaux ou des hommes, la nourriture donnée par Dieu à chacun est exclusivement végétarienne. L’animal est créé cependant avant l’homme et le précède donc dans la louange de la création où il sait garder sa limite, posant ainsi la question à l’homme de savoir si on peut en dire autant de lui. Ainsi l’abstinence de viande a une première raison : manifester notre conformité à la grâce des origines et cela convient au Carême qui est un nouveau commencement.
Mais l’animal est concerné par le mystère de Pâques d’une autre façon. Dans l’alliance de grâce qui suit la création, la parenté entre l’animal et l’homme s’exprimera dans le sacrifice. L’animal devient la créature qui vaut pour le péché de l’homme. Le repas carné se trouve donc lié au péché et au fait que l’homme doit trouver ailleurs une vie innocente pour être offerte à la place de la sienne. Aucune fierté de sa part n’est donc permise. La vie de l’animal sacrifié n’est donc pas d’abord destinée aux besoins naturels de l’homme mais à exposer sa culpabilité et à obtenir un pardon. Ce n’est qu’ensuite que l’homme peut prendre sa part de la chair de l’animal et participer à la vie qui a été donnée pour la sienne et acceptée par Dieu. Il est ainsi manifeste que la vie de l’animal appartient à Dieu et non à l’homme. Toute chair animale consommée n’est jamais anodine et correspond à un sacrifice.
Mais à quels faux dieux sont aujourd’hui sacrifiés les animaux qui sont consommés, et à quelles idoles communions-nous en les mangeant ? Le Carême est bon pour se purifier de ces idoles, dans le cœur comme dans le corps. Les sacrifices prescrits dans l’ancienne alliance deviendront caducs. Mais cette économie sacrificielle indique le chemin que prendra l’alliance de grâce, à savoir le sacrifice du Fils de l’Homme, appelé Agneau véritable. S’il y a un mystère dans la souffrance animale innocente, il réside dans cette figuration du Christ, à côté duquel l’animal est présent sous la figure éternelle de l’agneau pascal. Après le sacrifice du Christ, l’homme garde sans doute une liberté de mettre l’animal à mort, mais cette liberté implique de prendre une responsabilité dans le cadre de l’alliance de grâce. La suppression d’un animal ne se conçoit, en dehors du cadre sacrificiel maintenant aboli, que par analogie avec celui-ci et comme un acte sacerdotal.
L’abstention bénédictine du repas carné n’est cependant pas absolue (sauf les plus affaiblis…) car elle relève de la libre grâce et non de la loi. Mais toute exception doit être obéissance à un commandement supérieur, comme celui de conserver sa vie corporelle si elle est menacée par la maladie.
Père Jean-François Holthof, moine de Cîteaux ,vivant à l’ermitage Saint-Eugène, Ardèche
photo de la chapelle de l’ermitage